Pourquoi cet incipit ?
Par membre-admin | Le 11/03/2018 | Commentaires (0)
Mais d’abord, qu’est-ce qu’un incipit ?
Le terme ''incipit '' vient du verbe latin incipire = commencer. L'incipit sert à désigner le début d'un roman.
Quelle que soit la fonction principale que l’on souhaite lui donner, les lecteurs ne doivent pas se fatiguer à lire les premières lignes du roman. Au contraire, le premier chapitre doit donner envie aux lecteurs de poursuivre l’histoire, envie d’en connaître davantage. L’incipit doit être source d’interrogations. Il est donc très important qu’il accroche le lecteur.
Dans mon roman, je souhaitais parler des sorcières, et pour être plus précise, de la condition des femmes du Moyen-âge d’après des faits historiques. Mes recherches documentaires m’ont menée à la fin du XIIIe siècle. Le pouvoir civil demande au pape une bulle afin d’autoriser la création d’une université où l’on pourrait par exemple enseigner la médecine. Aussi cette discipline était exercée par les femmes et la faculté n’eut aucune autorité, le public n’ayant pas confiance en la science des hommes. Par jalousie on interdit donc aux femmes l’entrée de l’université et aux professeurs de se marier. Je vous laisse imaginer les dérives qui en découlèrent… Les femmes pratiquant la médecine furent alors suspectées de sorcellerie.
Il ne me reste plus qu’à réfléchir sur les personnages, le contexte, l’intrigue… Mais attention : pas de longues descriptions ennuyeuses, car petit rappel : le premier chapitre doit donner envie au lecteur de poursuivre l’histoire, envie d’en connaître davantage.
Dans mon incipit je choisis de planter le décor, je me penche sur les points essentiels de mon introduction et je fais le choix une scène clé pour ouvrir la lecture. Ce doit être un moment fort et significatif de l’histoire.
Pour ce faire, j’ai plusieurs solutions :
- Commencer par un retour arrière (un feed-back) qui doit être un élément clé du roman, quelque chose qui s’est passé avant l’histoire et dont découlera toute l’intrigue.
- Commencer par le début - Dans ce cas, mon chapitre devra se terminer sur l’élément déclencheur de l’histoire qui donnera au lecteur de poursuivre sa lecture.
- Commencer par le moment où débute l’action, dans un roman policier se pourra être le meurtre.
- Commencer par la fin ou faire un bond dans le futur - Cette technique permet d’engendrer des interrogations, le lecteur se demande comment les protagonistes en sont arrivés à ce moment de l’histoire.
Dans tous les cas, le premier chapitre doit présenter l’élément déclencheur ou au moins en être au plus près.
J’ai décidé de commencer par la fin, enfin presque...
Le Malleus Maleficarum étant un livre d’une méchanceté grotesque, comparable à un rituel de sacrifice humain, une sauvagerie codifiée comme dans un livre de lois, qui permit le sacrifice de millions de malheureuses, j’ai donc décidé de jeter le lecteur dès les premières lignes dans la cruauté de l’époque. Ainsi le lecteur, dès le début de l’histoire, sait de quoi il en retourne, ce à quoi va être confrontée mon héroïne.
Car il est bon de présenter le héros dans l’incipit, sans trop en dire, mais plutôt avec une intension de créer un lien avec lui ou de susciter des interrogations : pourquoi l’auteur nous dit cela ?
Voici donc l’incipit du Malleus – Les sorcières de Sarry
Mai 1488
Geôle de Châlons
– Va Jézabel, succombe, et croupi en enfer.
Elle accrocha son regard puis lui cracha ces mots :
– Vos flammes embraseront ma chair, mais pas mon âme.
– Ton âme ! Tu en as fait commerce avec le Diable, elle brûlera avec tes os.
– VOUS êtes le Diable ! Prenez garde, le chemin vers les affres risque bien d’être le vôtre !!
– Tu blasphèmes, encore... baisse les yeux où je te les fais griller avant le reste...
Son regard se posa sur le sol.
– Avoue que tu t’adonnes au sabbat et nous ne te causerons aucun mal, peut-être même auras-tu la vie sauve.
– Je n’ai jamais délaissé le Dieu chrétien, même si lui m’abandonne.
– Le nom de Dieu sonne comme un timbre fêlé dans ta bouche de sorcière. Confesse que tu pratiques l’aéromancie. Nous t’avons vu parler aux arbres et au ciel en faisant de grands gestes.
– Je cherchais juste mon chat.
– Un chat noir, le chat des sorcières…
Puis un signe fut adressé au bourreau pour qu’il installât le premier instrument de torture sur la table placée devant elle. Une sorte de griffe conçue spécialement pour les femmes afin d’augmenter la cruauté du supplice et de satisfaire les perversions sexuelles des inquisiteurs.
Elle regarda ce cérémonial de manière détachée.
– Il faudra bien que tu pleures. Tes yeux secs prouvent que tu fais partie de ces femelles hérétiques. Tu pratiques également la géomancie, nous t’avons surprise à ramasser de petits cailloux de façon bien précise sur le chantier de Notre Dame.
– Mon père avait besoin de minces silex ciselés pour son ouvrage. Je connais son métier pour l’avoir suivi très jeune sur ses lieux de taille. Souvent il m’en fait la commande.
Dehors l’orage grondait, la pièce était sombre et l’atmosphère pesante. Seuls quelques bougies et le brasier du four éclairaient les murs de la geôle laissant entrevoir les altérations mal lavées des précédents suppliciés. Odeur méphitique, mélange d’une essence métallique dont on l’imagine provenir d’autres fautes que des outils de fer, de la rouille ou du souffre, le tout rehaussé d’effluves de musc et de sécrétions. Le bourreau installa un genre de griffes dissemblables, qui celles-ci, comportaient cinq doigts et formaient de petits ciseaux. Il les fit fonctionner doucement près de l’accusée afin qu’elle entrevît le grincement de la ferraille. Puis il les referma d’un coup sec avant de les disposer délicatement sur la table comme des objets précieux.
– On m’a rapporté que tu lisais la bible, de quel droit poses-tu ton regard sur ce livre sacré qui ne doit être accessible qu’aux hommes d’Église. Tu parcours les pages de l’Apocalypse, qu’y cherches-tu ? Un moyen de plaire à ton nouveau Dieu ? Te délectes-tu de ce qui arrivera aux pauvres pêcheurs ?
– Pourquoi n’y aurait-il que vous qui ayez le droit à la vérité ? hurla-t-elle. Vos recueils de substitution, que vous donnez aux pauvres gueux, sont emplis de mensonges et d’hérésies, ils propagent des croyances païennes destinées à les effrayer afin de mieux pouvoir assouvir vos fidèles à votre règne !
– Sorcière ! Tu blasphèmes contre nos livres saints, la Sainte Église et notre Saint Père Innocent VIII. Ces mots sont l’aveu de ta foi mauvaise et de ton orgueil infâme.
– Ma foi est pure et sans tache, c’est la foi d’une femme à qui on a fait cadeau du savoir, c’est la foi de celle qui sera une nouvelle fois sacrifiée par les prophètes de Satan !
– Tais-toi !
Ordre fut donné au bourreau de sortir une sorte de bâillon de fer dont l’extrémité aiguisée formait une pointe destinée à cisailler lentement la gorge jusqu’à la trancher si besoin était.
Elle regarda l’appareil et dit :
– Comment souhaitez-vous que je confesse quelques méfaits dont vous m’avez déjà jugé si vous empêchez mon gosier de tirer quelques sons ?
– Tu avoues donc à demi mots…
– Non, je porte au grand jour votre sottise.
Le bourreau compris le signe de l’accusateur et rangea le dernier outil sorti. Il se munit à la place quelques petites pierres finement cisaillées qu’il posa sur les braises.
Après quelques temps et coups de tonnerre résonnants, lorsque les cailloux furent rougeoyants, l’inquisitoire reprit dans le calme le plus absolu.
– Ton prochain repas… — puis silence — avoue que tu pratiques l’hydromancie, nous t’avons vu verser quelque chose dans le puits de notre sainte chapelle.
– C’était une offrande pour demander la protection de notre seigneur.
– Magie ! Magie ! Sorcellerie !! Au sein même du lieu qui accueille notre très Sainte Vierge tenant l’Enfant Jésus dans ses bras. Le miracle de Notre Dame souillé par tes gestes sataniques. Quel sacrilège abominable ! Tu as loué un culte au diable dans ce lieu pur et sacré, tu as amené ton démon sur notre pavé. Combien de prières et d’huile sainte nous faudra-t-il pour laver ton péché, que dis-je, ta profanation, pour exorcisé le poison que tu as mis dans notre eau bénie. Monstre ! Nous te ferons subir toutes les douleurs de l’enfer au point que le purgatoire te semblera doux.
– En cela vous avez raison, l’enfer c’est vous. Quant à votre purgatoire, je n’en crois pas un traître mot. Maintenant que vous m’avez jugé sur des faits qui ne sont pas des actes de sorcellerie, maintenant que vous me jugez par jalousie, par haine, pour des sentiments qui vous sont propres, maintenant que je suis assurée de mon avenir écourté, je vous fixe, au plus profond de vos yeux, car je sais que cela vous effraye. Mon regard vous poursuivra, chaque jour et chaque nuit, cette lueur vous hantera au point d’en devenir fou. Mes yeux sont ceux de la raison et lorsque tout cela sera fini et que vous serez face à vous-même, j’obséderai votre conscience et vous ne pourrez plus vivre autrement que dans la tourmente.
– Des flammes ! Regardez ses yeux rougeoyants et sans larme, elle est possédée, le diable parle en elle on y voit la sécheresse de son cœur. Sorcière ! Sorcière ! Maîtresse de Satan !
Le bourreau et d’autres membres d’église s’écartèrent et se signèrent. Tous avaient pris peur. La mise en scène, le temps grondant et ces dernières paroles prononcées à hautes voix et de façon magistrale, le tout accompagné de gestes francs et désignatifs, avaient autorisées les personnes présentes à constater les faits, et même, de se rendre à l’évidence, de voir la vérité. Plus aucun doute n’était permis, cette femme appartenait à Belzébuth et elle devait être purifiée par le feu du bûcher.
Naissance d'un roman historique Le Malleus - Les sorcières de Sarry Roman historique époque médiévale